Zcyn LXIV
Nim-Nim
D’ici une heure, le soleil se lèverait. Assise sur les marches d’un escalier, la figure encore chiffonnée de sommeil, Zcyn considérait les commerçants de la place du marché de Rondo, qui finissaient d’installer leurs étals. Comment faisaient-ils pour se lever aussi tôt ? Chez sa grand-mère adoptive Fargdun en tout cas, ancienne marchande de fleurs, la retraite n’avait pas émoussé cette capacité. Sortir du lit quasi en pleine nuit, mettre à réchauffer la soupe de la veille, disposer sur la table bols, pain noir et quelques fruits, lui fut facile. Réveiller Zcyn avait été plus ardu.
« Debout, feignasse! Debout, te dis-je. » Il avait fallu la secouer un peu. « Tu ne veux pas faire attendre ton chef de guilde, quand même? C’est aujourd’hui que vous partez en expédition je ne sais où »
Et maintenant l’assassine était là , à attendre Hésac le sorcier, pour aller… hé bien, elle ne le savait pas non plus.
Le va-et-vient des boutiquiers avait pris fin et, nonobstant l’obscurité encore bien présente, le marché arborait à présent cet aspect tranquille et bonhomme que lui connaissent les aventuriers, et qu’ils trouvent aussi naturel que la présence de monstres dans les donjons.
Quelque-chose cependant allait d’étalage en étalage, et s’en faisait chasser. Quelque-chose de petit. Zcyn plissa les yeux pour mieux distinguer. C’était un kobold.des marais. Un jeune, vu la taille. Non pas que les kobolds soient bien grands même à l’âge adulte. Il s’approcha d’une table couverte de confiseries, autant qu’il le pouvait vu que l’énorme chien du marchand grognait sur lui et qu’il en avait peur. Il tendit une patte pour mendier mais ne reçut rien. Il tenta sa chance auprès du marchand de fruits, sans succès non plus. Le vendeur de gibier et de venaison ne fut pas plus généreux. De nouveau, il se dirigea vers le confiseur. Le marchand fit le geste de détacher son molosse. Le kobold s’éloigna, sans toutefois pouvoir se résoudre à quitter définitivement les lieux, reniflant de ses narines reptiliennes les effluves de nourriture.
Zcyn se souvint d’une conversation avec Moonkir, le belluaire de guilde, qu’elle était allée voir un soir à Palmir pour faire soigner son loup Sabaka.
« La riche ville de Rondo », avait-il expliqué avec une moue désapprobatrice, » s’est découvert une nouvelle lubie. Cette année, on n’offre plus de poupées ou de soldats de plomb aux enfants, on leur offre des petits kobolds. Achetés à des chasseurs qui en font le trafic. Même taille qu’une poupée, mais ça bouge, on peut leur apprendre des mots, et c’est inoffensif. Au besoin, on leur lime un peu les dents et les griffes. Les enfants sont ravis, ils jouent à cache-cache avec eux, font des dinettes de lait et de gâteaux. Et puis un jour ils se lassent. Le jouet vivant quant à lui a un peu grandi, il n’est plus drôle, hardi, curieux de tout comme au début. Le naturel craintif de la race reprend le dessus. Les enfants en réclament un autre, ou un animal différent, en tout cas ils ne veulent plus de celui-là . »
L’assassine trouva dans sa poche une pomme, fourrée là par Fargdun en prévision d’une longue journée. Méfiant mais affamé le petit kobold s’approcha. Tendit la patte.
« Nim-Nim faim. Toi, donne ? »
Zcyn sourit. A cause de la voix qui sonnait un peu faux, mais manifestement il comprenait ce qu’il disait, ce n’étaient pas des mots répétés au hasard comme le font certains oiseaux A cause du nom aussi, choisi par ses maîtres et bien éloigné des sonorités rauques et gutturales propres à cette espèce. Elle fit rouler le fruit vers le lézard, qui s’en saisit avidement, et commença à le manger, sans jamais quitter la Villaine des yeux, prêt à déguerpir au moindre geste brusque. La pomme disparut rapidement.
« Toi, donne ? »
Zcyn n’avait plus rien. Mais Nim-Nim avait humé l’air et s’était retourné brusquement. Il fixait l’artisan-confiseur qui s’approchait d’eux, tenant ostensiblement une large tranche de pain. Il la montra au kobold pour que celui-ci le suive, et prit la direction de la sortie de la ville la plus proche, celle qui menait à la Ferme des créatures.
« Ah, les braves gens » se dit la jeune fille. « Evidemment qu’ils n’aiment pas le voir tourner autour de leurs boutiques. C’est normal. Mais pour autant ils ne sont pas insensibles à la détresse de cette pauvre bête, au triste sort de ce reptile élevé par les hommes, abandonné, bien incapable de chasser ni même de retourner aux Marais du Nord-Ouest de Katan dont il est originaire. Ils sont bourrus ces marchands, mais ils ont bon cœur, au fond. »
Le commerçant avait atteint la limite entre la ville et les sortes de pelouses sauvages où les koalas faisaient la ronde et où s’ébattaient les lydians.
« Et d’autres choses aussi, bien moins sympathiques » se souvint la Villaine. « Tous ces Fanatiques à démolir pour passer assa. Ces mécaniques à la noix, créées par la guilde des Roxxors. Les Surogate, les Immordels, les Commandants. Maintenant je suis trop forte pour eux, ils peuvent même pas me toucher, mais à l’époque je m’en serais jamais sortie. Heureusement que Moonkir m’avait prêté un familier, et encore il est mort plein de fois. C’était quoi, déjà ? Ah oui, une salamandre. »
Le confiseur considérait la pelouse, semblant évaluer, estimer, calculer. Puis il lança la tranche loin devant lui.
Zcyn comprit trop tard.
« Non ! Petit kobold !»
Elle bondit, mais elle savait qu’elle était beaucoup trop loin. Le kobold avait couru jusqu’au point de chute, et avec un grognement de convoitise avait saisi le morceau de pain. Il le porta à sa gueule. Et dans son dos entendit un bruit. Tout proche.
La meute s’abattit sur lui. Il hurla.
« Aide Nim-Nim! Aide! »
Deux fois il disparut, submergé par la masse grouillante des Fanatiques. Deux fois il se releva, sanglant, tendant les bras vers Zcyn.
« Aide…. »
La troisième fois il ne se releva pas. Dans un frénétique cliquetis de lames, les Fanatiques déchiquetèrent jusqu’au plus petit lambeau de chair. Puis il y eut une sorte de déclic, toutes les marionnettes mécaniques se figèrent, et l’instant d’après se remirent en marche, imperturbables.
Le confiseur revenait vers la place du marché.
« Trois jours qu’il traînait là , à importuner les clients et à essayer de nous voler notre marchandise. «
Zcyn revint s’asseoir sur les marches, s’étonnant de l’amertume qu’elle ressentait. Des kobolds, elle en avait tué des dizaines, souvent sans même y prêter attention, juste parce-que dans le groupe de monstres il y en avait un ou deux. Mais celui-là était venu à elle. Il l’avait fait rire avec sa voix ridicule. Elle lui avait donné une pomme.
Sa tête agitée d’idées maussades s’affaissait sur ses genoux. Ses paupières se fermaient. Et se rouvrirent d’un coup.
« En route, mauvaise troupe ! » Le chef de guilde tapotait de son bâton les bottes de l’assassine.
Ils empruntèrent la sortie Sud. Juchée sur son ornitho, Zcyn fixait l’horizon droit devant elle, s’efforçant de ne pas regarder l’endroit où Nim-Nim avait péri. Bientôt ils perdirent de vue la ville. Quittant les voies principales, ils bifurquèrent vers l’Est et traversèrent la région des Roseaux verts. L’assassine, quoique dubitative devant ces inutiles détours, n’osait questionner son chef et, incertaine des possibles règles protocolaires à observer, lançait juste des phrases anodines de-ci, de-là .
« Les roseaux verts… Luerphédon ma panthère s’est enfuie par là , une fois. »
Dans la forêt obscure, elle hasarda « Ah, on est dans la zone des wyverns. C’est là que j’ai passé mon cinquième Rang. J’ai fait un bon score! Il n’y a que Kazanov qui a fait mieux. Kazanov… »
La mine de la jeune fille s’était assombrie. En guise de réponse, le Sorcier lança son lydian au galop. Il ne voulait pas que dans l’esprit de Zcyn macèrent de sombres idées de culpabilité, de destinée légendaire qui l’excluait du monde des humains, de stature quasi-divine dont le prix à payer était d’être maudite, de causer la perte de ceux dont elle croisait la route. Le rattraper, rester en selle sur un ornitho qui cavalait à fond de train, ça allait la tenir occupée.
En peu de temps il furent dans Marduka.
« Mes respects, Garde Benny ! » s’écria Hésac en passant devant le poste de garde. Zcyn adressa aussi un vague salut, tout en cherchant à ne pas se faire trop distancer. Le Sorcier continua à longer la côte, et ne mit pied à terre qu’au voisinage de la Ville en ruine.
« Allez, on est assez loin maintenant. Dix minutes de halte, pour faire souffler les montures. »
Il s’assit à l’ombre d’un mur à moitié démoli, suffisamment loin du portail qui menait à El-Kassia pour ne pas être dérangés par quelque groupe d’aventuriers. Ni entendus.
« Nous allons continuer à longer la côte, jusqu’au Marais des noyés. Enfin, on va quand même s’épargner la Montagne de cristal, on coupera plein sud une fois dépassé le Verger de l’aurore. »
« Le Marais des noyés ? « s’étonna Zcyn. « Mais pourquoi on a fait tout ce chemin ? Et on n’est même pas sortis du bon côté de Rondo… »
« C’est que vois-tu, Zcyn, nous allons chez quelqu’un dont c’est peu dire qu’il est méfiant. Il va nous demander qui nous a vus, par où on est passés, si on est sûrs de ne pas avoir été suivis, etc. J’ai la chance, ou peut-être la malchance d’être, parmi les chefs de guilde ou officiels divers, au nombre de ceux à l’égard desquels il se montre un peu moins suspicieux. En conséquence de quoi, il a accepté que je passe le prévenir quand ce serait son tour de tester le donjon classe Maître. Et ce jour est venu. «
« - Et après lui, ce sera à moi ! »
« Mais oui, Zcyn. Autant te dire qu’au Donjon, ils sont dans leurs petits souliers, ils espèrent qu’ils ont prévu assez large pour avoir de quoi tout réparer après que Crime-Sud aura mis en pièces leurs monstres. Et probablement leur donjon. «
« - Crime-Sud ? Ce nom me dit vaguement quelque-chose. C’est un assa comme moi, n’est-ce pas ? »
« Comme toi ? » répondit Hésac avec un sourire moqueur. « Comparée à lui tu es à peine une rôdeuse, une apprentie pour ainsi dire. Il a totalement révolutionné la classe. Il a été le premier à se mettre aux armes éthérées, à une époque où c’était instable, où ça cassait facilement. A une époque où le rechargement était long, fastidieux, où l’éther de chaque arme de recharge devait être extrait dans une pierre à usage unique. Cela prenait des heures, sans compter tous les accessoires qu’il fallait acheter, et qui étaient détruits dans l’opération. Aujourd’hui c’est facile, mais à son époque personne n’était aux armes éthérées. Sauf lui. Mais surtout, surtout, il a inventé le concept de vitesse de frappe. Privilégier la fréquence sur tout le reste. Sur la force, sur la précision. «
«- J’aimais mieux être aux dagues aussi, quand j’y pense », glissa Zcyn.
« Crome-Sud, là aussi, fut longtemps un précurseur incompris » reprit le Chef de guilde. « Quand il chercha à rentrer chez les RoxxorsDuPoney, là où vont les meilleurs, ils s’esclaffèrent devant sa théorie, ils le jetèrent dehors. Chez les Roxxors, on privilégie le dégât pur. Tuer l’ennemi en un seul coup. Un coup qui frappe très fort, à la manière d’un Pégéhemm, leur gladiateur. Ou qui cible un point très vulnérable, comme le font LégolasKévin leur archer ou Lucrécia leur mago.
Même des gens comme Fragil ou Seita, les chefs de guilde des Paragons, qui sont souvent à l’opposé des Roxxors, trouvaient que ça ne tenait pas la route, défensivement parlant. Crime-Sud ne commença à convaincre qu’à partir du moment où il découvrit la Soif de sang des crakens. »
« - Comment ça ? Mais c’est moi qui… » s’indigna Zcyn in petto. Longtemps, les seules cartes d’apprivoisement qu’elle avait lootées n’avaient été que des crakens. RossPess avait été l’un de ses premiers familiers. Voyant qu’Hésac était lancé dans son histoire, elle préféra cependant ne pas l’interrompre.
« Avec la Soif de sang, Crime-Sud résolvait la question de la survivabilité. Plus il tapait vite, plus il était soigné. Il paracheva son œuvre en dérobant à Kévin Oussetonne, le chef des Roxxors, de quoi créer la recette d’une nouvelle forme d’éthérage, la Concentration.
Cela porta un coup terrible aux Roxxors. Plus personne ne voulait venir chez eux. Tout le monde voulait devenir Assassin. Le lac d’Arrogance était envahi de pêcheurs qui cherchaient à attraper des crakens. Et Crime-Sud se rêvait à la tête d’une Guilde dont il serait le chef, qui n’accueillerait que des assas, et qui surpasserait les RoxxorsDuPoney.
«- Ah bon ? Je n’ai pas reçu d’invitation » pensa Zcyn à voix haute, avant d’ajouter précipitamment « Mais je n’y serais pas allée bien sûr, je serais restée chez les Villains »
« L’erreur de Crime-Sud » poursuivit Hésac imperturbablement, « fut de croire que son seul adversaire serait Kévin Oussetonne et sa guilde. Mais les Roxxors avaient partie liée avec Karcinaum, et donc la toute-puissance du Conseil des Guildes. Crime-Sud ne trouva aucun appui, ne reçut pas l’autorisation de fonder une guilde. Pire, Karcinaum fit élaborer une algue microscopique qu’il dissémina dans les lacs et les cours d’eau, pour infecter les Crakens et réduire à presque rien leur Soif de Sang. Et pour couronner la contre-offensive, les forgerons de Rondo, Katan, Laksy et Horizon reçurent ordre de changer leur façon de fabriquer les dagues. D’en alourdir et d’en rallonger le manche, d’en raccourcir la lame. Bref de les rendre beaucoup moins efficaces.
« - Bon, je reste aux épées, alors. » pensa Zcyn.
« Crime-Sud ne s’en remit jamais vraiment. Réalisant que la classe assa ne serait plus jamais efficace, il tenta de se reconvertir en Mage. De par sa grande connaissance de l’équipement éthéré, Il y devint assez performant, sans toutefois apporter de bouleversement radical.
Obstinément, il continua à essayer de se trouver une nouvelle classe. Je ne sais pas où il en est en ce moment. Cabaliste, peut-être.
Sa santé mentale vacilla. Ses tendances paranoïaques, qui existaient depuis toujours, s’accrurent encore. Il quitta la ville. Oh, si Karcinaum avait vraiment voulu lancer ses limiers sur sa piste, il l’aurait retrouvé. Mais il le jugeait désormais inoffensif. Mieux, c’était un exemple vivant, un avertissement pour tous ceux qui auraient voulu se dresser sur son chemin ou sur celui des Roxxors.
Allez! Mon lydian s’est assez reposé, on repart. Il faut arriver avant la nuit, quand même. »
Territoire des hommes-lézard. Bois des fées. Souche des boisés. Portail vers l’Ile perdue. Verger de l’aurore. Les paysages défilaient. Zcyn réalisa que le Sorcier n’était pas accompagné de sa sirène. Cela faisait un sujet de conversation.
«- Castafiore est restée à Palmir ? »
« Non, elle est au Village des Créatures. Oh, juste pour quelques jours, je n’ai pas les moyens de la laisser très longtemps. Améliorer son familier, c’est un gouffre à roupies. »
«- Et en allant trouver Ris-Paulin ? Moi, il m’a amélioré Luerphédon pour rien. C’est une bête de guerre maintenant, il faut voir comment elle massacre les Génies d’El-Kassia. Enfin, elle meurt moins vite, on va dire. »
« Ris-Paulin? L’ancien teinturier, celui qu’on a retrouvé noyé ? Enfin, c’est ce que l’enquête a conclu. Alors comme ça, il voulait se lancer dans l’amélioration ? Je crois que tu as été la seule personne à bénéficier de ses services. La dernière, en tout cas. »
« - Mort ? Il est mort ? » s’écria Zcyn abasourdie, avant d’ajouter à voix plus basse, comme pour elle-même « Comme le petit kobold de ce matin. Comme Kazanov. Comme Oscar. Comme Karcinaum, même. Encore que celui-là … »
Le sorcier se mordit les lèvres. Il n’avait pas réalisé que, peu au fait des événements du monde, Zcyn apprenait seulement maintenant le décès suspect du teinturier.
« Le coupe-jarret de Palmir ! » s’alarma Hésac « L’intrus occis par SirWatson. Elle n’est probablement pas au courant non plus, attention à ne pas gaffer encore une fois. »
Une nouvelle fois le lydian fut remis au galop. Le sorcier s’en voulut de son incapacité à trouver des ruses plus variées pour distraire Zcyn.
Ils atteignirent la lugubre région de Katan. Le terrain devint marécageux. Le soleil s’étant couché, l’air devint brumeux et froid. Aux arbres encore verts et feuillus se mêlaient des troncs pourris, spongieux, ne restant debout que de par leur symbiose avec certains champignons locaux.
« Nous arrivons ! »
«- Il est bien temps, il fait nuit, il fait froid. Je n’ai jamais autant cavalé. Toutes ces heures à dos d’ornitho, Et tout ça pour arriver dans ce charmant endroit… »
« Mets pied à terre. Sa cabane est juchée sur un gros rocher. Je vois de la lumière, c’est bon signe. Attention à ne pas l’effaroucher. Il est certainement déjà en train de surveiller notre approche. Avance posément, reste bien visible, surtout ne passe pas sous Cape. Et ne vas pas tomber dans l’eau. »
La cabane en effet surplombait un lac, et la seule voie d’accès était le gros rocher lisse et glissant.
Zcyn convint que la prendre d’assaut eût été malcommode.
«- C’est petit, quand même » ajouta-t-elle.
« Ce n’est que le dessus. » répondit le chef de guilde énigmatiquement. Puis il s’avança vers la porte.
Une voix à l’intérieur se fit entendre.
« Dans ce royaume,
méritent la mort…»
« Karcinaum,
et les Roxxors » répondit le Sorcier.
C’était le mot de passe convenu. La porte s’ouvrit dans un grincement. Crime-Sud les fit rentrer et s’empressa de refermer, puis d’actionner toutes sortes de serrures, de verrous et de loquets. Il secoua un peu la porte pour en éprouver la solidité. Alors seulement, il se retourna vers ses visiteurs. Large d’épaules, massif, de haute taille quoiqu’un peu voûté, il n’avait pas la morphologie typique, souple et féline, habituelle à sa classe. L’esquive, ce n’était clairement pas son style de combat.
Il scruta le visage d’Hésac et fut vite rassuré. Ce n’était pas un sosie venu le capturer ou le tuer. Puis ce fut le tour de Zcyn, et l’examen fut plus long. Soudain, il leva les bras au ciel, et fit un pas en arrière.
« La fille de la Côte de cristal ! La fille au Craken… la Soif de sang… »
D’un geste nerveux il attrapa les mains du chef de guilde.
« C’est elle, Hésac ! La plage, le craken, l’aura rouge sur elle, les vingt monstres étendus raides morts. Elle est la cause de tout, sans elle je ne me serais jamais lancé dans toute cette histoire. «
« Allons, tu dois confondre, » répondit le Villain d’une voix rassurante « Je l’ai juste amenée parce-qu’un chef de guilde ne saurait voyager seul, et que mon aide de camp habituel n’était pas disponible. Enfin, regarde-la, elle est parfaitement inoffensive, comment voudrais-tu qu’elle… ou bien c’est un faux souvenir, un rêve que tu as fait il y a longtemps. »
L’assassin s’était remis de sa frayeur, il ne tremblait plus.
« Oui, tu as raison Hésac, cela fait longtemps. Et j’ai tourné la page ! Suivez-moi. »
Il déplaça une petite table, ôta un tapis. Une trappe circulaire apparut.
« Laissez-moi passer le premier, que j’allume quelques torches. L’échelle est raide »
L’espace au-dessous de la cabane était très vaste, avec une forme de sphère aplatie. Zcyn toucha la paroi de pierre, et fut étonnée de constater à quelle point elle était lisse et polie. Hésac, qui était déjà venu, lui donna quelques explications.
« J’en ai parlé à Moonkir, le belluaire de guilde. Et d’après lui c’est une sorte de ver géant mangeur de pierre, aveugle et sourd, à la peau suintant l’acide, qui pendant les centaines d’années de son existence, au fur et à mesure qu’il grandissait, a créé cette cavité. Au cours des siècles qui ont suivi sa mort, les bactéries l’ont décomposé puis ont disparu à leur tour. »
«- Est-ce que ça ferait un bon boss de champ ? » se demanda Zcyn.
Ses yeux s’habituant à l’obscurité du lieu, l’assassine vit que la bulle de pierre était en gros divisée en deux zones. L’une comportait une quantité de provisions qui eût permis de soutenir un siège. Salamis, jambons entiers suspendus à une longue poutre, étagères garnies de meules de fromages, boules de pain disposées dans d’énormes huches.
« L’air est très sec, avec une salinité naturelle. » commenta Hésac Tout se conserve très longtemps. »
L’autre partie était un capharnaüm d’équipements en tout genre. Armures, épées, potions, lances, grimoires, arbalètes, parchemins, masses, boucliers, épaulières, haches, empilés en un tas qui atteignait la moitié de la hauteur du plafond. Crime-Sud en revint, tenant un arc.
« - Ce tas de loot, c’était là aussi quand vous avez découvert cette caverne ? » demanda Zcyn.
« Oh non » répondit l’assassin, « J’ai ramené ça de Palmir caché, la semaine dernière. Hésac me laisse y aller en dehors des heures d’ouverture. Je l’ai fait en Glad, mais franchement le DPS n’est pas terrible. «
« Regardez ! » continua-t-il en exhibant un arc. « Je crois que cette fois j’ai trouvé ma classe. C’est décidé ! Je serai le meilleur sagittaire du monde. Tiens-toi bien, LégolasKévin ! »
« A propos de tenir » intervint Hésac, « la cordelette de l’arc il faut que tu l’attaches des deux côtés. Là comme tu t’y prends, c’est au mieux un fouet. Ou une canne à pêche. »
Zcyn, restait les mains sur les hanches, perplexe devant la montagne de butin.
«- A moi, ça me prendrait combien de temps, de looter tout ça ? Une année au moins. »
Hésac gardait un œil sur sa guildie. Cette visite avait mal commencé, mais commençait à porter ses fruits. La gamine mythomane était en train de réaliser qu’elle était bien loin de pouvoir rivaliser avec un assa de haut calibre.
« Crime-Sud, nous sommes venus pour te dire que le donjon de Maîtrise t’attend. Et pas en tant que sagittaire ou glad. Déjà parce-que LégolasKévin et SirWatson s’en sont chargés. Mais aussi parce-qu’il y a des records à battre. Plus grand nombre de monstres abattus, meilleur temps, détenus respectivement pour le moment par Seita des Paragons et PepsiDreamer des SertLeThé. Et puis, qui d’autre que toi serait plus qualifié pour devenir le tout premier Exécuteur? »
« En assa? Tu veux que je le fasse en assa? Mais… ça ne peut plus rien faire, un assa, c’est trop faible maintenant.»
« Pas quand c’est toi » répliqua le Sorcier. « Et d’ailleurs, ne serait-il pas temps que tu nous proposes quelque-chose à manger, un peu de… jambon, par exemple ? »
Zcyn tiqua devant l’absence manifeste de logique dans ce que venait de dire son chef. Qui plus est, il avait prononcé ça sur un ton bizarre, emphatique, à la manière d’un bateleur qui annonce un numéro de cirque. En outre leur hôte se frottait les mains, et son visage s’était soudain détendu, alors que son expression alternait jusque-là entre crainte et exaltation
« Hé bien pourquoi pas, Hésac, pourquoi pas? »
Il les conduisit à l’endroit où de nombreux jambons pendouillaient du plafond, et en désigna un.
« Est-ce que quelqu’un peut me le dépendre ? Il y a un escabeau pas loin. »
Zcyn ramena l’escabeau mais son chef le lui arracha des mains.
« Laisse, je vais le faire » avant de glisser à voix basse « Ton armure, elle ne couvre pas… enfin tu le vois, Crime-Sud est déjà bien atteint côté ciboulot, pas la peine qu’en plus… »
La Villaine ne comprit pas la fébrilité du Sorcier.
«- Et alors quoi, il a peur qu’en tombant je me foule la cheville ? »
Dépitée, elle suivit Crime-Sud qui s’approchait du coffret où il rangeait ses deux dagues. Dès qu’il en fut proche, Zcyn perçut un scintillement rose à l’intérieur, perceptible malgré les parois de métal, et qui gagna en intensité et en fréquence. Quand il ouvrit, l’assassine dut détourner la tête à cause de la luminosité.
« - L’âme des armes… Elles l’appellent, elles le réclament. En même temps ça doit pas être très pratique côté furtivité. »
Mais les dagues se calmèrent dès que les mains de leur propriétaire les enserrèrent, et la Villaine put les examiner. Elles semblaient légères, très légères, faites non pas d’acier ni d’un quelconque métal, mais de verre, de cristal. La courbure des lames était élégante sans extravagance. Elles paraissaient bien équilibrées. Et leur manche n’était pas rallongé. Ni leur lame raccourcie.
Zcyn réfléchissait à une façon polie de demander si, dans la mesure où il ne voulait plus rester assassin, il ne pourrait pas, éventuellement, les lui donner. Hélas pour elle Hésac revint, tenant une assiette d’une main et le jambon fumé, à la chair d’un rouge aussi profond que prometteur, de l’autre.
« Pose l’assiette sur la table, au milieu. Mets-toi de l’autre côté, tiens le jambon par la ficelle. Un peu plus bas. Prêt à lâcher ? Mademoiselle, reculez-vous ! Hésac, quand tu veux. »
Le sorcier tenait le jambon à bout de bras, juste au-dessus de l’assiette. Il tourna la tête vers sa guildie, lui fit un clin d’œil. Et lâcha.
Zcyn ne vit même pas les mains de Crime-Sud bouger. Elle ne perçut qu’un embrasement de particules roses, comme une poussière de diamants. S’était-il d’ailleurs vraiment passé quelque-chose ? Il y avait eu le clin d’œil de son chef, et la seconde d’après des tranches de jambon s’empilaient dans l’assiette, tellement minces et légères qu’elles planaient presque.
« Hmmm… fameux ! » s’écria Hésac. « On voit à travers ! »
Crime-Sud s’était éloigné à la recherche d’une bouteille de bon vin. Mortifiée, Zcyn avait en plus à supporter le petit sourire goguenard, quoique bienveillant, de son chef.
« Oui » s’écria-t-elle, « mais moi, je suis aux épées ! »