L’an mille… Année du chaos total, annonce de la fin du monde… Les croyances populaires et religieuses l’annonçait, et pourtant… Au premier matin de l’an mille, aucune catastrophe, tout le monde se réveilla. Un jour comme un autre, ou presque, commençait.
C’est dans la peur que tout un chacun alla travailler aux champs, s’attendant à tout moment à voir le ciel virer au rouge, le sol s’enflammer, et les monstres venus des enfers déferler sur les terres dévastées. Pourtant, les jours passèrent sans que la fin du monde ne pointe le bout de son nez.
C’est dans cette ambiance que naquit Allia. Cette charmante petite rouquine fut nommée comme son aïeule, née cent ans plus tôt dans la même exploitation familiale.
Sa petite bouille souriante inspirait la joie et le bonheur, mais une succession de chiffres semblait plutôt présager de sombres jours pour cette fillette. Elle est née le dixième jour du premier mois de l’an mille, tout juste cent ans après son arrière grand-mère. Si l’on se réfère aux croyances Gaïa, le zéro représente le néant, la fin de tout, plutôt que le commencement comme chez les autres races… Quant au un, il fait référence au « premier ». Le peuple Gaïa lui voue une haine sans bornes. Les légendes sont floues sur ce point, mais il aurait causé la perte de tous ses descendants avant même leur naissance. Les enfants de la Terre auraient survécu uniquement grâce à l’intervention des Dieux.
Cumuler ces seuls deux chiffres dès son premier souffle promettait sans conteste un avenir noir à cette frêle enfant.
Rien d’extraordinaire ne se passa dans l’année qui suivit. La vie avait repris son cours progressivement, et au fur et à mesure du temps, s’éloignant de la fatidique date du premier jour de l’an mille, les esprits s’étaient calmés. Les nœuds dans l’estomac s’étaient défaits, la peur lancinante dans tous les cœurs s’était tue. La petite Allia grandissait sagement, faisant la joie de ses parents et des autres membres de la famille.
Approchant du premier anniversaire de ce petit être, les maigres économies que la ferme permettait d’accumuler furent dépensées pour organiser une fête digne de cette enfant. La potée de légume serait agrémentée d’un bon morceau de viande, et l’eau remplacée par du vin. Certes, de moindre qualité, mais du vin tout de même. Cependant, la plus grosse dépense fut pour Allia elle-même. L’achat d’un pendentif béni afin de lui porter chance tout au long de sa vie ruina presque la famille. Sa mère était tellement impatiente qu’elle ne pu attendre le jour donné, et elle lui remit ce présent la veille des ses un an.
Pendentif béni, chance ou destin selon les différents avis, ce qui se passa le lendemain n’était pas le simple fruit du hasard. Dans leur angoisse de l’approche de l’an mille, les hommes avaient oubliés que leur calendrier n’était pas calé sur celui des ancêtres, eux qui avaient annoncé la fin du monde. Le calendrier Mecènien, lui, avait été établi un peu plus tard par les ordres Ecclésiastiques afin qu’il concorde avec le dogme prôné par leur église. Le décalage était de un an et dix jours.
Le soleil qui se leva ce jour là était rouge sang. La lumière qu’il projetait donnait un aspect sombre et lugubre à la neige habituellement lumineuse et immaculée. L’astre diurne était également anormalement chaud pour une journée d’hiver. Quelques heures après son apparition à l’horizon, le manteau blanc avait fondu de moitié, et la température allait en augmentant.
Les premiers prophètes annonçant la fin du monde firent rapidement leur apparition… Après avoir été dénigrés, rejetés, parfois lynchés un an plus tôt, ils voyaient en ce jour celui de leur vengeance. Leur rengaine était toujours la même, la fin du monde, l’enfer sur terre, la fin de l’espèce humaine… Bref, du réchauffé. Pourtant, pour la première fois depuis un an qu’ils tentent de convaincre de nouveau les habitants, certains semblaient enclin à les croire de nouveau… La couleur et la chaleur anormale du soleil y étaient probablement pour quelque chose.
Il ne fallu pas longtemps pour que raison leur soit donnée. Lorsque le soleil fut haut dans le ciel, proche de l’heure de midi, le temps sembla suspendre son chemin. Les oiseaux avaient stoppé leur chant repris en cours de matinée avec la chaleur. Pas un souffle de vent, pas un bruit, rien. Chacun semblait même retenir son souffle pour ne pas troubler ce calme absolu. Les parents d’Allia n’avaient jamais entendu le bourg aussi silencieux. Puis soudain, comme le dit l’adage, le calme fut suivi de la tempête. Le sol se mit à trembler, d’abord imperceptiblement, puis de plus en plus fort, jusqu’à ce que plus personne ne puisse tenir debout sans s’aider d’un arbre ou d’un poteau fermement planté. La terre commença à se fendre sous la pression, laissant apparaître de larges crevasses. Une fumée acre s’éleva de ces ouvertures, asphyxiant à moitié ceux qui l’inhalèrent, et couvrant rapidement le ciel aux yeux de tous.
La panique s’empara de tous. Chacun courait essayer de se mettre à l’abri là où il croyait être le mieux protégé. Dans cette folie ambiante, les plus faibles, ceux qui tombèrent furent immanquablement piétinés, projetés dans les crevasses. Plus rien d’autre ne comptait que sauver sa propre vie. Plus d’amis, parfois plus de famille ni même d’enfants. Les plus jeunes hurlaient de terreur, se pelotonnant dans les recoins protégés des piétinements et des coups d’épaules.
La terre tremblait, les maisons s’effondraient les unes après les autres sur leurs occupants tels des tapettes sur des souris. Les gens couraient dans tous les sens, ne sachant réellement où aller pour se protéger. Panique ? Le mot est trop faible pour décrire ces scènes de chaos, de détresse et de folie.
Au milieu de tout cela, Allia se retrouvait blottie dans les bras de sa mère, Ceraki, qui ne faisait pas exception. La peur au ventre, elle courait où elle pouvait, suivant les mouvements de foule, évitant les embuches et les corps étendu au sol pour ne pas tomber. Elle ne savait où se trouvait son mari. Il avait disparu dès les premiers affolements, abandonnant purement et simplement sa femme et son enfant.
Soudain, une idée lui vint… Le Rocher Eternel ! Ce Dolmen ancestral est réputé inébranlable. Adossé à la montagne, l’amoncèlement de pierres tenait tête au temps depuis plusieurs dizaines de générations. Si la nature n’en est pas venue à bout jusqu’à présent, alors il serait la meilleure protection face à la fin du monde.
Donnant à son tour des coups d’épaule, forçant le passage, elle atteint tant bien que mal la sortie du village où elle était venue chercher des éventuelles explications sur la situation du matin. Son Ornytho était là où elle l’avait laissé quelques heures plus tôt, broutant le maigre foin qui lui restait comme si de rien n’était. Elle l’enfourcha rapidement, lui fit faire volte-face et lui infligea de violents coups de talon pour le faire avancer. La bête sursauta de surprise puis se lança à vive allure dans la direction imposée.
En quelques minutes, les deux femmes avaient atteint le Rocher Eternel. Il se situait sur une colline non loin de la ville, adossé à la montagne sacrée. La terre tremblait toujours, mais les secousses semblaient faiblir lentement, et le ciel semblait devenir quelque peu plus clément. Ceraki descendit du dos de l’Ornytho avec Allia et alla se réfugier sous le dolmen. Les secousses, pourtant extrêmement violentes n’avaient même pas ébranlé le Rocher.
Les deux femmes arrivèrent à l’abri juste à temps. La terre ne tremblait presque plus, mais le ciel avait à son tour choisis de jeter son dévolu sur les hommes. Une pluie de feu se déversa soudain. Des rocs de feu tombaient partout dans une grêle de terreur. Le pauvre Ornytho laissé à quelques pas de là fut littéralement traversé par un projectile à peine plus gros qu’une graine, le tuant sur le coup. Les quelques coups portés au dolmen le faisaient légèrement trembler, mais il semblait vouloir tenir le coup. La pluie de feu dura encore quelques heures avant de cesser. Quelques immenses rocs continuèrent de tomber pendant quelques minutes, dont un sur le Rocher Eternel qui n’était finalement pas aussi inébranlable que cela… Le choc fut d’une telle violence que Ceraki et Allia furent projetées au plusieurs mètres par la secousse. Ceraki fut sonnée et ne reprit conscience que quelques instants plus tard en entendant les cris de sa fille. Allia, qui avait été projetée hors des bras de sa mère avait essayé tant bien que mal de revenir dans les bras protecteurs. Sur son chemin, un morceau du bloc de feu qu’elle a saisit à pleine main avait laissé une marqué qui ne s’effacerait jamais et lui rappellerait éternellement ce jour maudit.
Lorsque Ceraki reprit ses esprits, elle comprit rapidement que sa fille souffrait, mais ce qu’elle vit lui fit encore plus froid dans le dos que tout ce quelle avait vu jusqu’ici… Les crevasses ouvertes plus tôt par les secousses laissaient maintenant s’échapper des créatures tout droit venues des entrailles de la terre, des enfers enfouis sous nos pieds. Si certains semblaient plutôt amicaux, d’autres éveillaient une immense frayeur dans le cœur de Ceraki qui se précipita pour prendre Allia dans ses bras et la protéger. Face à l’une de ces créatures, le corps de la mère servit de bouclier, sauvant sa fille au prix de sa vie. Le cadavre ensanglanté de Ceraki recouvrit bientôt le corps d’Allia, étouffant presque la fillette qui hurlait. Ses cris attirèrent vite l’attention des créatures qui se déversaient toujours depuis les crevasses. Quelques monstres bavant de rage entreprirent de déchiqueter le cadavre de Ceraki pour atteindre la fillette pleurant.
[HRP]Si vous souhaitez commenter, merci de le faire dans le topic commentaires créé à cet effet, merci. [/HRP]