Zcyn XVI
Psychologie appliquée
A la nuit sans lune avait succédé une matinée sans nuages. Luerphédon terminait sa gamelle, et Zcyn finissait de fourbir ses dagues. Ces chiffons en peau de dragonnet étaient vraiment une merveille. Abrasifs sur la face externe, et soyeux sur la face interne. Les lames étincelaient. Et dire que demain matin il faudrait tout recommencer ! Corps putréfiés, sang corrosif, poisons de toute sorte, les créatures de Katan avaient tout pour ruiner un équipement.
Où aller d'ailleurs ? Pas trop loin de la ville en tout cas. Aujourd’hui il faudrait repousser les RoxxorDuPoney. Les combattants à partir du Quatrième rang étaient tous sur le pied de guerre, ainsi que les assassins du Cinquième rang. Et tous les autres Villains étaient en état d’alerte, avec la consigne de rester à quelques minutes du plus proche portail. Alors, Marais des noyés ou Cimetière du deuil ? Ou bien le Lac d’arrogance peut-être.
(( Aaaaargh… pourquoi cela prend-il autant de temps ? Si près du but, et pourtant si loin…))
Zcyn se retourna. Personne.
« Luerphédon, toi aussi tu as entendu quelque-chose ? »
Non. Et quand bien même, comment je suis censée te répondre ? Je bouge la tête de bas en haut plusieurs fois?J’ai dû rêver, pensa la rôdeuse. Allez, les dagues ont soif, va pour le Cimetière du deuil, c’est là que j’ai le plus de repères, je connais tous les recoins, les temps de réapparition des monstres, leurs vitesses de déplacement, leurs planques.
Elle ajusta la selle de l'ornitho, et mit le pied à l'étrier.
« - Attendez ! »
Zcyn se retourna. Cette fois il y avait quelqu’un. Un messager aux armoiries de la guilde.
« - Je suis porteur d’un message à faire lire à tous les Villains en alerte. »
« Donnez-moi ça. Sinon, vous n’étiez pas caché à dire ‘aaaaargh’, tout-à l’heure ? »
« - Vous croyez que j’ai le temps pour des facéties ? Lisez et passez-moi une potion jaune si vous en avez. »
"A tous ceux que le messager parviendra à joindre.
La félonie des RoxxorsDuPoney est sans limite. Par la ruse ils ont attiré notre corps d’armée aux abords du bois des fées. A peine engagés dans un étroit défilé, deux éboulements simultanés en ont bloqué les accès. Ce n’est pas le fruit du hasard, pas plus que le brouillage de nos amplificateurs télépathiques. Dégager les blocs rocheux nous prendra des heures. Mercenaires, invocateurs, chevaliers, rôdeurs, oubliez aujourd’hui que vous êtes des apprentis, et souvenez-vous que vous êtes des Villains !
Puisse la Déesse combattre à vos côtés.
Hesac."
« Combien serons-nous ? » s’enquit la rôdeuse.
« - Vous êtes la seule pour l’instant. Je cours un peu au hasard » poursuivit le messager tout en essayant d’estimer le millésime de la potion. « Tous les registres d’adresses étaient au donjon. Si vous voulez mon avis, on est devenu beaucoup trop dépendants des amplificateurs télépathiques. On a réduit encore et encore les effectifs des messagers, soi-disant c’était dépassé, et maintenant que leur bijou technologique est en panne, qui c’est qu’on est bien content de trouver ? Allez, une’tite lampée de potion jaune, ça fait du bien bien par où ça passe. Vous en voulez aussi ?»
Mais il n’y avait plus personne pour l’écouter.
Dissimulé derrière un bloc de cristal, Hesac, équipé de la longue-vue empruntée au Chasseur d’élites Elken, scrutait l’horizon en contrebas. Des trois conseillers qui l’entouraient, SirWatson était le plus excité.
« Passez-moi la longue-vue ! S’il vous plaît. Allez, quoi… »
« - Silence SirWatson. Moonkir et Darkmatter, restez bien cachés. Surtout faites attention à ne pas être repérables du ciel. Où est-elle donc ? Ah ça y est je la vois, mon timing était parfait, je savais qu’elle oublierait le portail et ferait tout le chemin en ornitho. Holà , le yéti le yéti le yéti…. Non ça va c’était moins une, mais elle est passée. Bon, on attend l’éclaireur des Roxxors maintenant…. »
« Expliquez-nous encore » murmura Moonkir le belluaire, qui pour l’occasion avait amené son propre Migo. « C’est quoi le plan, un genre d’embuscade ? »
« - Non. On ne bouge pas d’ici. Et silence total. DarkMatter, tu veilles bien à ce qu’il n’y ait pas un crétin pour réactiver nos amplificateurs. On est bien surs que notre messager a compris la manip?"
"Zcyn et personne d'autre. En fait ça l'arrangeait, il est plutôt du genre flemmard."
« - C'est parfait, DarkMatter. SirWatson, de ton côté c'est bon aussi?"
"Personne ne montrera le bout du nez, y compris chez les SertLeThé et les CoeurDePique. De toute façon ils n'étaient déjà pas très chauds pour se mesurer Aux Roxxors. J'ai eu droit à toutes les excuses d'usage. Ma tortue fait sa mue. J'ai une enchère urgente à l'hôtel des ventes. Mon médecin m'a interdit l'altitude. Les classiques du genre."
« - Tout est en place, donc. Il est moins dix, l’éclaireur ne saurait tarder, on peut dire ce qu’on veut des Roxxors mais en tout cas ils sont ponctuels. »
Zcyn touchait au but. Ce couloir de cristal au sortir de la forêt de conifères, ô combien dangereux et qu’elle parcourait habituellement avec d’infinies précautions, c’est en cravachant son ornitho qu’elle le traversait aujourd’hui. Un jeune yéti la fit tomber, deux autres firent mine de s’approcher, mais jouant de sa petite taille elle réussit à se dégager et à atteindre la plate-forme. Aucun autre Villain en vue. Un coup d’œil à la pierre de donjon : c’était bien le leur. Pour encore combien de temps ? L’alliance survivrait-elle ? Et la guilde ? Pauvre Hesac, coincé à des lieues et des lieues d’ici. Quoi de pire pour un général que de ne pouvoir rejoindre le champ de bataille ?
L’apprentie assassine n’eut pas le loisir de phiilosopher davantage. Masquant brièvement le soleil, une silhouette de dragon se découpa dans le ciel et se figea un instant. Puis la bête écailleuse plaqua ses ailes le long du corps et descendit en piqué. Zcyn pensa que l’impact à lui seul allait créer une brèche dans les murs du donjon, mais au dernier moment les ailes gigantesques se déployèrent à nouveau, et le terrifiant familier atterrit dans un silence que les monstres locaux, qui avaient fui d’épouvante, ne risquaient pas de troubler. Le belluaire qui le chevauchait mit pied à terre, prit le temps de considérer les alentours, et défit les lanières de son casque.
« - Ôte-moi d’un doute, demoiselle, suis-je bien chez les Villains ? »
Zcyn, à son propre étonnement, se sentait étreinte par la colère plus que par la peur.
« En effet, vil RoxxorDuPoney, tu es ici chez nous, les vaillants, les courageux, les valeureux, les nobles Villains. Votre seule présence est une insulte. Félons, infâmes, humains dégénérés dont les mœurs feraient horreur à un rat gobelin de Katan, êtres fourbes et lâches qui avez recours à des ruses pitoyables, nains chétifs cachés sous vos armures étincelantes, immondes… »
Le RoxxorDuPoney s’écarta un peu et posa les mains sur ses tempes, cherchant à établir le contact avec les amplificateurs de sa guilde.
« - Allo, Oussetonne ? On a un problème. »
Le contact fut vite établi, et l’éclaireur exposa la situation.
« - Tu es sûr que nos infos sont à jour ? Hesac, Pepsi, Albarran, tu confirmes ? Parce-que là tout ce que je vois c’est une rôdeuse. Mais si, tu sais, avant assassin, il y a rôdeur. La classe qui se bat avec des espèces d’aiguilles à chapeaux. Bref, à part moi et mon dragon, il n’y a pas grand-chose d’épique ici. Alors moi je veux bien jouer le jeu, mettre de l’emphase partout, faire la descente-du-dragon-dans-l-axe-du-soleil, mais en face il faut qu’il y ait un minimum de répondant, comme les Paragon Nightmare d'il y a deux lunes, avec leurs rangées de licornes noires et les harpies derrière. On les a cramés en deux minutes mais au moins on a eu l'impression de venir pour quelque-chose. Alors que là …
Attends je m’éloigne encore un peu, cette gamine a une voix qui porte. »
Effectivement, Zcyn continuait à vociférer.
« J’hésitais ce matin à tacher mes lames du sang des créatures de Katan, hé bien je n’hésiterai pas à les souiller du sang d’ennemis encore plus répugnants. Mes dagues n’ont pas peur de ta cuirasse, ma vaillance n’a pas peur de ta magie. Vingt fois vous me tuerez, et vingt fois mes amis me ranimeront. Euh, je veux dire vingt-et-une fois. Attends non, c’est bien vingt fois. Enfin bon, le nombre correspondant de fois. Oui ils me ranimeront, car tous nous serons là pour vous repousser, éclater vos crânes sous nos masses, énucléer vos yeux de soudards, piétiner… »
« - Attends Kévin, reste en ligne, c’est peut-être jouable après tout, apparemment il va en arriver d’autres. »
« …piétiner vos cadavres. Oui, nous les Villains, Loupox le mercenaire, Tashia La charmeuse, Vooki le dresseur, MissPiggy la mago et sa fée ardente, moi et ma panthère, tous nous n’aurons de cesse que de vous bouter hors de nos murs. Tant il est vrai que celui dont la cause est juste est deux fois armé. »
Ici Zcyn brossait volontairement un tableau flatteur. MissPiggy n’avait pas encore sa fée ardente.
« - Non, laisse tomber Kévin, il n’y a rien à en tirer. Certes pour d’autres sièges dans le passé il est arrivé à notre enlumineur d’enjoliver un peu ses gravures en remplaçant un orc adverse par un homme-faucon, et à nos scribes de retoucher leur chronique en faisant d’un mage un élémentaliste ou d’un mercenaire un gladiateur, mais là nous aurons beau réécrire l’histoire, les gens demain quand ils vont acheter la Gazette de Laksy ou le Petit Katan illustré ils vont bien se rendre compte qu’on était cinquante dragons pour attaquer une poignée d’apprentis.»
Plus haut, Hesac avait laissé sa longue-vue à SirWatson. Il n’avait plus besoin de voir la scène en détail. Si Kévin Oussetonne avait voulu donner l’assaut, c’est tout un pan de la montagne qui ne serait maintenant plus que flammes, en un brasier visible même depuis Rondo.
« DarkMatter, réactive les amplificateurs, et préviens Albarran et PepsiDreamer qu’ils peuvent retourner chez le loueur d’ornithos. »
